No Pasaran (n°59, mai/juin 2007)

1- Peux-tu nous présenter Combo Quilombo ?

Combo Quilombo est né dans l’alchimie de la rencontre de quatre individus : Manu qui chante, Emmanuel qui frappe, Michel qui rythme et Pascal qui gratte. On jouait des reprises dans différents groupes qui tournaient dans le circuit musical de la capitale nigérienne. On s’est retrouvé au sein de Kadan Kadan, la formation attitrée du Masaki Club de Niamey à qui on a donné une orientation nettement blues-rock. On prenait vraiment du plaisir à jouer ensemble et on s’entendait bien. On reprenait des standards bien que chacun d’entre nous ait ses propres compos, mais personne n’osait vraiment les proposer aux autres. Un jour, j’ai franchi le pas. J’avais une poignée de titres qui avaient besoin de l’accompagnement d’un groupe pour prendre toute leur ampleur. Pour moi, c’était des outils de luttes et, à défaut de pouvoir les jouer dans des concerts de soutien, leur objectif était d’être à disposition pour des compil’. Du coup, il fallait qu’ils soient libres de droit et que les musiciens ne s’attendent pas à gagner le moindre sous avec. Tous trois ont adhéré au projet et accepté bénévolement de mettre leur temps, leur matériel et leur talent au service de ce projet. Avec les moyens à notre disposition on a bricolé ça en trois jours, prises live, sans retouche.

2- Quels sont vos influences musicales ?

Pour Michel, Manu et moi, notre révolte a grandi avec le Rock’n Roll, c’est un peu notre base commune. On aime aussi la musique africaine évidemment, ainsi que ce qui nous arrive des autres continents, la musique sud-américaine notamment. Mais de manière générale, on est attiré par toute forme de fusion, de mélange et de métissage… tout ce qui transgresse les frontières (et pas seulement musicales !). Ceci dit, on est aussi amateur de beaux textes, en particulier francophones. Pour ce qui me concerne, je ne peux éviter de citer Renaud, Higelin et Thiéfaine, mais sans oublier non plus Béranger, Ferré ou Font et Val, , et puis j’aime bien écouté les copains d’Assassin, Raymonde et les Blancs-Becs et aussi les Raspigaous.


3- C’est pas courant d’entendre des textes comme les vôtres sur du blues, pourquoi ne pas avoir choisi le punk ou la oï pour exprimer votre révolte ?

Ça, tu l’as dit ! Quand j’étais plus jeune, je me souviens que je me lamentais de ne jamais réussir à trouver des chansons qui concilient la musique que j’aimais avec des paroles qui me plaisaient. Et puis un jour je me suis dit « Do It Myself ! » et je me suis mis à écrire des chansons…
Après, c’est aussi une histoire de goût, personnellement, je suis très sensible au blues, c’est une musique qui me touche profondément. Ce qui me fascine dans le blues, c’est de réussir, par le chant ou la musique, à canaliser l’énergie d’une oppression pour en restituer une émotion et la transformer en quelque chose que je trouve beau. Et puis, pour être franc, c’est le seul truc que j’arrive jouer à peu près correctement. Ensuite, je pense que c’est une bonne chose de ne pas cantonner nos idées dans un style musical. Je suis heureux de pouvoir les retrouver en écoutant du punk, de la oï, mais aussi du ska, du reggae et du rap. Alors pourquoi pas du blues ? D’autant plus qu’on est pas les premiers… Il ne faut pas oublier qu’à ses débuts, le blues est une musique de pauvres, composée et colportée par des marginaux d’un peuple dominé. Il est né dans les champs de coton et s’est développé plus tard dans les centres urbains suivant l’émigration d’une main d’œuvre chassée de la campagne par la mécanisation des travaux agricoles, le remembrement des terres. Cette population appauvrie s’est trouvée jetée sur les routes (cf : « Les raisins de la colères ») et dirigée vers les centres industriels du nord des USA en plein essor du fait des deux guerres qui ont affaibli l’Europe. L’ « Illustre » B.B.King, comme se plaisent à l’appeler les médias, ne se cache pas d’avoir parcouru plusieurs fois le tour de la Terre à creuser un sillon derrière une mule ! Quant au « Grand » Muddy Waters, il était chauffeur-livreur à Chicago. Koko Taylor était femme de ménage avant de pouvoir vivre de sa musique… bref, les exemples ne manquent pas. Le blues présente toutes les caractéristiques d’une musique de classe, paysanne d’abord, puis ouvrière par la suite. A cet égard, les thèmes abordés dans les compositions en sont révélateurs ; les plaintes contre l’oppression raciale s’ajoutent à celles dénonçant les conditions de travail, le chômage et la misère, sans oublier leurs conséquences sur la santé, les rapports hommes-femmes et les conditions de vie familiale et puis, plus tard encore, la guerre. Depuis que le genre existe, les musicien(ne)s chantent leurs conditions d’existence.

4- Tu veux dire qu’au delà du cliché du chanteur de blues qui pleure son amour et son travail perdus, il y a une composante revendicative dans ce style de musique ?

Je m’explique ! Je veux dire que la façon dont les blues(wo)men décrivent, souvent avec ironie, leurs conditions d’existence s’ajoute au sentiment de rage contre l’oppression et la misère que la communauté noire devait légitimement ressentir. Il faut remettre les choses dans leur contexte : tu te retrouvais vite à te balancer au bout d’une corde dans les états du sud et plutôt que l’affrontement, où ils étaient sûrs d’être perdant, les gens ont développé l’art du « sens caché ». Ce procédé, largement utilisé pour les allusions sexuelles, touche aussi les champs religieux et politique. Ainsi certains auteurs avancent que lorsque les afro-américain(e)s interprètent les chants religieux, Gospels ou Negro Spirituals, c’est leur propre libération qu’ils chantent en s’identifiant au peuple juif. La recherche du paradis des chrétiens (tous égaux devant Dieu !) expliquerait leur entrée massive dans les différentes églises américaines. L’exemple le plus parlant étant sans doute le célèbre « Let my people go ». La même chose semble se produire avec le monde du travail : si on lit entre les lignes, lorsque l’interprète chante « baby, tu es trop dur avec moi, je vais te quitter à tout jamais » on peut penser qu’il s’agit là d’un procédé allégorique qui permet de ne pas nommer directement le « baby » en question… mais tout le monde décrypte et sait bien qu’il s’agit du patron ; c'est en substance ce que dit Big Bill Broonzy : « Les paroles de mes chansons parlent beaucoup de « babies » parce que c’est plaisant. Mais les vrais blues sont des chants de protestation à mots déguisés ». J'ajoute que ce guitariste-chanteur des années 30 n'est pas le seul à donner une portée politique à ses titres, il ne faut pas oublier J.B. Lenoir, Lonnie Johnson, Ike Cosse, Josh White et même plus près de nous, Popa Chubby... Willie Dixon, Magic Sam se sont insoumis à l'armée... l'existence même de certain(e)s artistes comme Ma Rainey, Charley Patton ou Robert Johnson, pour ne citer qu'eux, témoigne d'un refus, non pas collectif, mais au moins individuel de se soumettre au modèle social dominant. Le thème du « Hobo », le vagabond, comme celui de la fuite ou de l’exil, par exemple, sont des thèmes très courants des chants de l’époque. Ce n'est pas un hasard si un si grand nombre de chansons font référence au train. Être musicien(ne), de blues ou de gospel, parfois les deux est aussi un échappatoire aux champs de coton... Malheureusement, pas à la prison et Leadbelly, Son House et Bukka White, entre autres, en ont fait les frais. Cependant, grâce au travail des Lomax, père et fils, chargés par la Bibliothèque du Congrès Américain de recueillir de la façon la plus exhaustive possible, le patrimoine musical rural du pays, on peut entendre aujourd’hui des chants de travail et de prisonniers qui témoignent de cette époque où la police ramassait les noirs désœuvrés pour les faire travailler dans les chantiers d’élévation de digues ou dans les plantations farms, fournissant une main d’œuvre bon marché aux patrons de l’industrie du coton ou du tabac. Le blues se nourrit de la réalité qui l’entoure.

5- Vous avez choisi la gratuité pour votre enregistrement "Entr'aide", pourquoi ce choix ?

Tout pour tous ! [c’est le titre du morceau qui ouvre l’album, ndlr] Parce que nos idées sont belles et qu’elles ne demandent qu’à être partagées ; nous nous reconnaissons dans celles qui visent un monde plus juste, où chacun(e) mange à sa faim, a un toit où dormir, est libre de se rendre où bon lui semble, de s’épanouir et vivre sa vie comme il/elle en a envie ; ces idées ne nous appartiennent pas. Proudhon explique très bien en quoi la propriété est un vol. Nous ne sommes pas propriétaires des idées qui brillent dans nos chansons et nous voulons les mettre à la libre disposition de chacun(e)… donc, elles sont gratuites ! Et en plus, c’est un peu comme un coup dans le pied de ce colosse au pied d’argile qu’est la société marchande. Le don tue le capital ! Si tu veux, les droits d’auteur, comme la privatisation du vivant, c’est une affaire de propriété privée. Si les collectionneurs se plaisent aujourd’hui à dénombrer les différentes versions de certaines vieilles chansons – notamment, les « Traditionnels » ainsi dénommés parce que justement, on ne sait plus qui les a inventés ! – c’est bien parce qu’il n’existait pas de droit d’auteur à l’époque des premiers blues et de toutes façon, les musiciens n’avaient la plupart du temps pas les moyens de les acquitter. Cette richesse est formidable ! que tant d’artistes aient composé, interprété, colporté, transformé, réarrangé ces chansons, témoigne de la créativité humaine et cela leur a permis de traverser l’Histoire afin d’arriver jusqu’à nous ; au lieu d’avoir une chanson, on en a des dizaines de versions… l’appropriation intellectuelle couplée à une logique de profit est une entreprise de mort ! Elle fige la chanson, elle formate, elle calibre n’importe quelle oeuvre. Elle interdit cette prolifération qui fait notre bonheur aujourd’hui et, finalement, tue la création. En ce sens on peut dire que la Culture du profit pue la charogne. Quand je dis « formater », je ne parle pas seulement de la durée, ou du volume de ce qu’on crée, je veux dire que l’industrie du spectacle transforme toute invention en « produit » ! Et pour ça, faut qu’ça rapporte… N’oublions pas que les blues qu’il nous est permit d’écouter aujourd’hui, on les doit au fait que Messieurs Leonard Chess, Lester Melrose ou Sam Phillips, pour ne citer qu’eux, ont trouvé l’intérêt de gagner de l’argent avec [ce sont les patrons de célèbres maisons de productions ndrl]… On ne pense jamais à tous ceux dont ils nous ont privé, ceux qui ne « rapporteraient » pas selon eux... ce qui est bien loin de la démarche des Lomax ! Or c’est malheureusement toujours la même logique qui est à l’œuvre dans la recherche médicale, par exemple, lorsqu’il s’agit de répertorier les plantes ou de trouver de nouveaux vaccins… on ne connaît pas le tiers des plantes qui poussent sur notre planète et pourtant, on en laisse disparaître tous les jours ! Quant aux vaccins, les laboratoires ne s’intéressent qu’aux maladies dont les victimes sont… solvables ! Ça fait cruellement résonner à mes oreilles les propos de Tolstoï lorsqu’il écrit qu’ « Admettre la propriété, c’est admettre la violence et le meurtre ».

6- Votre projet a-t-il un avenir ? En d'autres termes, vous faites des concerts ?

A l’origine, on ne pensait pas donner d’autres suites à ce projet. Mais vu l’accueil plutôt chaleureux réservé à notre album dans le petit monde du blues francophone on envisage d’aller plus loin. Concrètement en répondant à l’invitation d’un important festival de blues et en faisant venir tout le monde en France cet été. Bon, il faut financer les billets d’avion, le passeport et le visa d’Emmanuel et par les temps qui courent, c’est pas encore gagné. Autrement, il y a le site comboquilombo.online.fr où, outre les chansons à télécharger, on trouve quelques vidéos, des photos de concert, mais aussi des textes et analyses politiques, des affiches et quelques tracts qu’on avait faits avec les copin(e)s du groupe No Pa de Perpignan. C’était l’époque des collages et des tables de presse ; d’ailleurs, beaucoup des chansons datent de cette période ! Le site n’est pas encore complètement fini, il nous reste encore plein de trucs à mettre… on pourrait presque dire qu’il est en construction permanente ! Il ne faut pas hésiter à s’y rendre et à prendre, à s’inspirer à reproduire, à transformer tout ce qu’il y a dessus, images, sons, dessins, c’est un libre service ! Utiliser les morceaux pour vos émissions de radio, vos bandes-sons pour les tables de presse, pour les concerts, pour les manifs, pour les sound-system ou pour votre usage personnel… Et puis reprenez-les, réarrangez-les, réenregistrez-les… « Tout est à nous, rien n’est à eux, tout ce qu’ils ont ils l’ont volé… ! ».

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