Lors d’un récent séjour à Lyon, nous avons rencontré Pascal, guitariste et chanteur de Combo Quilombo, groupe de blues radical-rock social, qui a accepté de répondre à nos questions.
Thierry Libertad : Salut Pascal, peux-tu nous présenter le groupe ?
Pascal : On s’est rencontrés au hasard de nos vies, il y a cinq ans, dans un pays délaissé par la Providence, le Niger. Pendant un an et demi, avec Emmanuel (batterie et percussions), Manu (chant et harmonica) et Michel (guitare et basse), on a joué des standards de blues et de rock dans les bars, les restaurants et les hôtels de Niamey. En juillet 2006, on s’est pris trois jours pour enregistrer Entraide. Après mon départ du pays, Michel a repris la guitare et Karim est entré dans le groupe pour se charger de la basse. Quand je suis revenu pour enregistrer Nwari Ba Malfey en 2008, on a gardé cette configuration qui nous gratifiait d’une seconde guitare.
T.L. : Pourquoi avoir choisi ce nom ?
P. : Mis à part l’effet phonique, c’est l’aspect de laboratoire social qui a retenu notre attention. Ces villages (« quilombos » en portugais ou « palenques » en espagnol) constituaient des refuges pour les esclaves en fuite mais ils regroupaient aussi des gens de toutes origines, africaines, indiennes et européennes, qui refusaient les conditions de travail et d’existence que les colons imposaient. Malgré une répression féroce, ces gens ont cherché, sans rien attendre de personne, à s’organiser concrètement pour être libres. C’est précisément ce côté village insoumis, enclave libérée, qu’on occupe le temps qu’on veut, et où les personnes, quelles que soient leurs origines, se retrouvent avec un objectif commun, pour construire quelque chose, qui convenait le mieux à notre conception du groupe.
T. L. : Votre premier album, Entraide, fait référence à un concept fondamental de la pensée libertaire. Quand on écoute vos textes, on s’aperçoit que ce n’est pas une coïncidence…
P. : C’est vrai que certaines paroles et plusieurs de nos titres sonnent comme des slogans et, personnellement, je n’ai pas honte de paraphraser Kropotkine pour rappeler que l’entraide est une condition indispensable à toute vie en société en même temps que l’antidote à tous les racismes, les nationalismes et même aux rapports de domination qui structurent nos sociétés. Au moment où les chansons de cet album ont été écrites, je vivais encore en région parisienne et j’écoutais régulièrement « Blues en liberté » sur Radio libertaire (j’en profite pour saluer les efforts de mon collègue Thierry Porré, qui continue, je l’espère, à susciter des vocations). Il s’agissait surtout, à ce moment-là, de mettre des idées en musique et de les diffuser sous forme de chansons car, pour reprendre la formule de Joe Hill, « un tract, on ne le lit qu’une fois. Une chanson, on l’apprend par cœur ».
T. L. : On sent davantage l’influence africaine dans votre deuxième album, tant au niveau des textes qu’au niveau musical. Vous avez d’ailleurs choisi de l’intituler Nwari Ba Malfey (Food not Bomb en djerma, langue parlée dans la région de Niamey)…
1590QuilomboP. : En effet, après Entraide, qui est un album de chansons de combat très européocentré, on souhaitait que ce nouveau projet concerne davantage le quotidien sahélien. De là le choix du titre de l’album, ainsi bien sûr que notre chanson Sokoneyan Da Doure (On s’organise, on se débrouille !) en langue djerma. On a utilisé la même démarche dans l’orchestration : on entend le kalangou, ou tambour d’aisselle, dans Une main a besoin de l’autre pour se laver, des calebasses sur Mamywatta et les maracas locales sur U 236 dont les paroles évoquent les conséquences pour les populations sahariennes de l’exploitation de l’uranium et dénoncent l’hypocrisie avec laquelle le lobby militaro-nucléaire français parle d’« énergie propre ». J’en profite pour signaler que c’est le rythme du pilon dans le mortier (ce ventre de l’Afrique) qui ouvre l’album et qui permet à Emmanuel de caler ses baguettes ! C’est aussi un écho au titre de l’album puisque cette référence au collectif Food Not Bombs 2 rappelle en premier lieu que c’est de nourriture et non d’armements dont les gens ont besoin mais surtout, qu’à l’instar de ce collectif, nous pouvons nous organiser différemment et de façon autonome sans plus attendre, pour prendre notre avenir en main et sortir du monde meurtrier des marchands.
T. L. : Essayez-vous de renouer, d’une certaine façon, les liens avec les origines africaines du blues ?
P. : Non, bien que les origines africaines du blues soient indéniables, il me semble illusoire de partir à la quête d’un quelconque chaînon manquant, fût-il créé de toutes pièces à notre époque. Pour ce qui nous concerne, si on a choisi le blues, c’est simplement parce qu’on l’aime.
T. L. : Il me semble qu’il y un lien évident, dans votre démarche, entre le fond, vos paroles, et la forme, votre style de musique, le blues… Peux-tu nous en dire davantage ?
P. : Je te remercie de souligner la cohérence qu’on essaye de donner à notre Quilombo. Il se trouve que le blues est une musique d’ouvriers et de paysans. Il est donc par nature une expression populaire, plutôt acoustique dans sa forme rurale et plus électrique dans sa version urbaine, lorsque les industries US ont eu besoin de main-d’œuvre dans les usines du nord, au moment de la Seconde Guerre mondiale. Que ce soit en ville ou à la campagne, les bluesmen ont toujours chanté leur quotidien. C’est à travers les tableaux qu’ils nous brossent de leurs conditions d’existence (les conditions de travail, les rapports de genre, de classe, la ségrégation, l’armée, la police, l’institution judiciaire, la prison, etc.) qu’ils dévoilent l’oppression sociale dont les gens de couleur et les pauvres en général sont victimes. Ce faisant, en révélant les mécanismes de domination, ils les dénoncent. Je pense qu’ils n’ont pas changé et que même ils se généralisent partout dans le monde. Tu vois, même si on n’est pas descendant d’esclaves, on a toujours les mêmes raisons d’avoir et de chanter le blues… et ce dans toutes les langues où on subit l’exploitation !
T. L. : Le blues est-il contestataire ? Est-il révolutionnaire, voire libertaire ?
P. : Libertaire, au sens strict du terme, c’est certain que non. Les références et les chants religieux sont trop présents dans l’histoire du genre pour qu’on puisse affirmer qu’il se serait affranchi de cette aliénation mentale. Révolutionnaire, c’est déjà plus envisageable dans la mesure où tout ce qui était plus ou moins de gauche était taxé de « communiste » aux États-Unis. On a vu des bluesmen se revendiquer de gauche et jouer notamment au Greenwish Village. Je pense à Josh White, à Paul Robeson ou à Leon Bibb, par exemple. Pour recontextualiser le problème, il ne faut pas oublier qu’au début du siècle, dans les États du sud, la vie d’un homme (et à plus forte raison celle d’une femme !) ne coûtait pas bien chère… Comme Billie Hollyday le chante dans Strange Fruit, évoquant les individus pendus aux branches des arbres, il fallait faire très attention à ce qu’on disait à l’époque, où un simple regard pouvait vous condamner à mort ! On estime aujourd’hui à plus de 3 500 le nombre de lynchages pendant cette période. Il fallait donc s’exprimer à mots couverts et les auteurs ont développé un sens caché, parfois grivois, mais aussi social ou politique. Pour en revenir à la dimension contestataire du blues, on peut distinguer au moins trois périodes de son histoire. D’abord, il y a eu les premiers enregistrements, interprétés par des femmes. Elles n’ont pas manqué de prendre parti contre les violences et la domination masculines et pour la liberté sexuelle : Bessie Smith, bien sûr, mais aussi Ida Cox ou Memphis Minnie ouvrent une brèche que continueront à exploiter Tina Turner ou Janis Joplin. Concernant l’homosexualité, Ma Rainey ou Lucille Bogan portaient déjà le flambeau, repris aujourd’hui par des chanteuses comme Gaye Adegbalola ou Candy Kane. La seconde période significative dans l’histoire du blues de contestation concerne l’engagement militaire US autour des guerres de Corée et du Vietnam avec, entre autres, JB Lenoir, Lightnin’Hopkins, Johnny Shines, Willie Dixon (qui sera porté déserteur, comme Magic Sam), sans oublier le politiquement incorrect – et par conséquent méconnu ! – I don’t wanna go to Vietnam de John Lee Hooker. Plus près de nous, les guerres d’Irak et d’Afghanistan continuent de susciter une opposition : Fruteland Jackson, JJ Grey & Mofro, Beverly Guitar Watkins, Faris, Philadelphia Blues Messengers ou David Evans qui milite ouvertement pour le retrait des troupes dans Bring the Boys Back Home. Signalons enfin Patriot Act Mix d’Howard Glazer qui dénonce la dérive sécuritaire dans la politique américaine suite aux attentats du 11 septembre, ainsi que Different Kind of War du Joanna Connor Band, qui revient sur les nouvelles technologies expérimentées actuellement au cours des opérations militaires. Enfin, la dernière période est celle de la mobilisation pour les droits civiques durant laquelle le blues a connu un regain d’intérêt et où un certain nombre d’artistes en ont profité pour relancer leur carrière : de Black Man Inna White House de Blind Lemon Pledge à Hotel Lorraine – Blues for Martin Luther King d’Otis Spann, en passant par When Do I Get to be Called a Man de Big Bill Broonzy. Dans tout ce corpus, on trouve aussi des paroles un petit peu plus radicales, telles celles de Pleasant Joe, dans Saw Mill Man Blues où il chante : « Je n’ai certes pas construit ce monde, mais pour sûr, je peux bien le foutre en l’air ! »
T. L. : Vos deux albums sont en téléchargement libre sur votre site…
P. : Oui, toujours pour rester cohérents avec ce qu’on chante. La propriété, même intellectuelle, c’est le vol et puis la culture n’est pas une marchandise ! Sur le site, on met à disposition les deux albums, mais aussi des inédits, des vidéos, des photos, des tracts, des affiches, un condensé de l’histoire des quilombos et, c’est une exclusivité pour les lecteurs du Monde libertaire, nous allons bientôt ajouter la lecture d’un texte extrait du livre de Nestor Romero, Los Incontrolados, sur un tapis de slide… Un délice !
Contact : comboquilombo(arobase)online.fr
Site : comboquilombo.online.fr
Pascal anime également « Le blues des canuts », tous les mercredis de 15 à 16 heures sur Radio canut (102,2 FM), mais aussi en direct sur le site de Radio canut : radio.canut.free.fr/
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